Appel à la résistance contre le régime du Capitaine Ibrahim TRAORE : les limites d’une élite diplômée.
« C’est bien l’écrivain sénégalais Cheick Aliou N’DAO qui le disait : “Le mal dont souffrent les intellectuels africains est le bavardage. Ils sont doués pour analyser, ausculter, critiquer, mais l’action les effraie.”. Et Maître Ambroise FARAMA, le philosophe Yoporeka SOME, l’avocate Alimata DIALLO, le journaliste Idrissa BARY, l’informaticien Maixent SOMET et vingt-cinq autres diplômés intellectuels viennent de donner raison à Cheick Aliou N’DAO.
Dans un article publié le 14 avril 2024 par le journal politique Évènement, ces hommes et ces femmes appellent à la résistance contre le pouvoir du Capitaine Ibrahim TRAORE. Dans la revue de leur appel à la résistance, ils font l’état des lieux de la situation de la crise sécuritaire que connait le Burkina Faso et ils arrivent à la conclusion que le pouvoir du Capitaine Ibrahim TRAORE a échoué et pour cela, la Transition dirigée par le président TRAORE doit prendre fin. Ils exigent la mise en place d’une Transition essentiellement civile qui préparerait l’organisation des élections pour une sortie démocratique de la crise.
J’ai parcouru, comme de nombreux Burkinabè, l’appel à la résistance de Maître Ambroise FARAMA et ses compères. Ce qui saute à l’œil, c’est l’incapacité intellectuelle des signataires de cet appel à la résistance. Depuis 2016, le Burkina Faso est confronté à des attaques terroristes qui ont coïncidé avec l’arrivée au pouvoir de Roch KABORE. En sept ans, le pouvoir démocratiquement élu de Roch KABORE a été incapable de faire la guerre et de mettre fin aux attaques terroristes. C’est l’incapacité du pouvoir démocratiquement élu de mettre fin à la guerre qui a conduit à l’exaspération des populations et c’est cela qui explique la prise du pouvoir le 24 janvier 2022 par le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo DAMIBA. C’est pour dire que c’est l’échec d’un pouvoir civil élu dans les urnes qui explique la prise du pouvoir par les militaires. Si le pouvoir démocratiquement élu de Roch KABORE avait pu vaincre le terrorisme, les militaires ne seraient pas au pouvoir.
Et pourtant, après avoir fait l’état des lieux de la situation de crise sécuritaire que traverse le pays, les signataires de l’appel à la résistance ne proposent aucune solution salvatrice pour mettre fin à la crise. Dans leur pamphlet, ils dénoncent les atteintes graves à la liberté et le non-respect des droits de l’homme. Et nous aimons tous la liberté tout comme nous aurions voulu que les droits de l’homme soient respectés. Mais, comment concilier liberté et état de guerre ? Voilà la principale question. La guerre est en elle-même une violation de la liberté et des droits de l’homme. Et s’il y a des gens qui privent les gens de leur liberté et violent les droits de l’homme, ce sont les groupes armés terroristes qui endeuillent les populations, et chassent les honnêtes citoyens de leurs villages. Quel appel Maître Ambroise FARAMA et ses compères ont lancé à l’égard des terroristes pour dénoncer les attaques que subissent les populations ?
Dans leur réquisitoire contre le pouvoir du Capitaine Ibrahim TRAORE, Maître Ambroise FARAMA et ses compères se contentent de dénoncer ce qu’ils appellent l’incapacité du pouvoir du Capitaine Ibrahim TRAORE à mettre fin à la crise sécuritaire. Et que proposent-ils ? Ils proposent la mise en place d’une Transition civile qui préparerait l’organisation des élections pour une sortie de crise. Et voilà une solution qui est en elle-même l’expression de la servitude et de l’incapacité à transcender une situation de départ pour prendre en compte une situation actuelle. Maître Ambroise FARAMA et ses compères ne proposent rien de nouveau. Dans leur appel à la résistance, ils affirment leur attachement à l’ordre néocolonial. Si les élections étaient fondamentalement la solution à la crise que nous vivons, le terrorisme aurait pris fin avec le pouvoir de Roch KABORE, car des élections ont été organisées en 2O15 et en 2020.
En réalité, les signataires de l’appel à la résistance expriment leur servitude volontaire comme le disait si bien le philosophe Etienne de la Boétie. Ils veulent que le Burkina Faso reste attaché au système néocolonial qui asservit et appauvrit les masses. Dans leur appel à la résistance, les signataires affirment ceci : “Tout compte fait, la situation sécuritaire continue de se dégrader.” Alors, comment des hommes et des femmes peuvent-ils reconnaitre que la situation sécuritaire se dégrade et exiger au même moment l’organisation des élections dans ce contexte ? En Ukraine, les élections présidentielles devraient se tenir en mars 2024. Mais, le président ukrainien Volodymyr ZELENSKY a estimé que le moment n’était pas propice à la tenue des élections. “L’heure est à la défense du territoire national,” a-t-il laissé entendre.
Maître Ambroise FARAMA, le philosophe
YOPOREKA SOMET et leurs compères sont-ils plus attachés à la démocratie et à l’expression des libertés plus que la France et les États Unis qui soutiennent l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie et qui ne demandent pas à ZELENSKY de tenir les élections présidentielles à la date convenue ? Comment comprendre qu’une poignée de Burkinabè qui ne connaissent rien des dures réalités de la guerre, qui s’en moquent même comme de l’an quarante, veuillent imposer des élections à des millions de Burkinabè qui ont fui leurs villages et qui ont du mal à se nourrir dans ce contexte de crise sécuritaire. Le diplômé africain, sinon l’intellectuel burkinabè, a-t-il atteint le summum de l’inconscience ? On peut donc valablement donner raison à Joseph KI ZERBO qui se demandait : “A quand l’Afrique ?” Je dis donc : A quand le Burkina ? A quand le Burkina si des diplômés burkinabè restent insensibles à la souffrance des masses, et pire, face à cette souffrance, veulent leur imposer des élections dans le seul but de se conformer à l’ordre néocolonial érigé dans leur imaginaire en unique modèle de gouvernance et de développement. Laurent BADO a su bien le dire quand il disait : “L’école rend bête.” On peut lui donner raison, car cet appel à la résistance est l’expression de l’insouciance d’une élite qui voudrait imposer sa norme, son modèle antisocial à des population meurtries dans leur chair et qui ne demandent que de la nourriture pour ne pas mourir de faim.
L’appel à la résistance de Maître Ambroise FARAMA et ses compères est bien la suite logique de la déclaration du Front pour la Défense de la République lue depuis Abidjan par mon frère Inoussa OUEDRAOGO. Aujourd’hui, on peut se permettre de dire que l’on connait les membres du Front pour la Défense de la République, car indubitablement, il y a un lien entre les signataires de l’appel à la résistance et le Front pour la Défense de la République. La déclaration du Front pour la Défense de la République et l’appel à la résistance de Maître Ambroise FARAMA et ses disciples visent les mêmes objectifs : mettre fin au pouvoir du Capitaine Ibrahim TRAORE, instaurer une Transition civile et organiser des élections.
Ce qui est ahurissant et inhumain dans l’attitude de ces Burkinabè qui ne jurent que par l’organisation des élections, c’est le fait qu’ils se moquent de la reconquête du territoire national. Dans la déclaration du Front pour la Défense de la République de Inoussa OUEDRAOGO tout comme dans l’appel à la résistance de Maître Ambroise FARAMA et ses compères, la reconquête du territoire national n’est pas une priorité. Les signataires de l’appel à la résistance tout comme le Front pour la Défense de la République appellent plutôt les Burkinabè à la révolte pour mettre fin à un pouvoir qui ne garantit pas leurs privilèges et leurs avantages. Ce qui est vraiment dénoncé, ce n’est pas l’insécurité, c’est plutôt le manque de démocratie et d’élections. On aurait pu comprendre ces agitations, si ces hommes et ces femmes nous proposaient un schéma original de sortie de crise qui prend en compte nos valeurs sociologiques. Mais, les signataires de l’appel à la résistance ne sont pas dans la réflexion et la maturité intellectuelle, ils s’inscrivent dans le suivisme et le mimétisme et ils sont convaincus que les élections restent la panacée pour une sortie de crise.
Rien donc de nouveau sous le soleil. C’est comme si Maître Ambroise FARAMA et ses disciples nous disaient : ” la seule condition pour gagner la guerre contre le terrorisme, c’est d’organiser des élections”. C’est absurde et inintelligent puisque c’est après la victoire de Roch KABORE aux élections présidentielles de 2015 que les premières attaques terroristes ont commencé dans ce pays. Quand les terroristes attaquaient le restaurant café Capuccino au cœur de la ville de Ouagadougou le 16 janvier 2016, Roch KABORE venait d’être fraichement élu président pour un mandat de cinq ans. Oui, on peut dire que les militaires ne sont pas non plus la solution à la crise car le pouvoir du lieutenant colonel DAMIBA a été renversé par le Capitaine Ibrahim TRAORE parce que ce pouvoir ne donnait pas de bons résultats. Toutefois, Ambroise FARAMA et ses hommes ne se soucient pas de l’avenir de la nation car ils ne réfléchissent pas fondamentalement sur les solutions de cette crise. Ils nous appellent à un retour en arrière parce qu’ils pensent que devant, c’est un cul de sac. C’est simplement l’expression de la peur, de l’asservissement et de la servitude qui anime ces hommes qui sont incapables de s’émanciper de l’ordre impérialiste et néocolonialiste qui a montré toutes ses limites.
Il n’y a rien d’original dans cet appel à la résistance. Les signataires de ce pamphlet se révèlent comme des hommes et des femmes frustrés et qui n’arrivent pas à comprendre qu’un peuple décide de s’assumer, de se libérer et d’aller de l’avant dans des moments difficiles. Ils nous appellent alors à l’acceptation de la servitude et à l’affirmation de notre incapacité qui serait congénitale et qui nous interdît de rêver d’un avenir meilleur. Dans l’expression de leur fatuité et de leur infatuation légendaires, ils refusent tout mérite au pouvoir du Capitaine Ibrahim TRAORE et ils se dressent en savants et en sauveteurs qui pourtant, ne proposent rien de nouveau et ne sauraient trouver de solutions à la crise sécuritaire que nous visons. Maitre Ambroise FARAMA et ses compères écrivent ainsi leurs noms dans les poubelles de l’histoire en ces moments décisifs où le peuple a besoin d’hommes et de femmes courageux, téméraires et déterminés et non pas de pleurnichards et de pessimistes qui, au lieu d’écrire l’histoire, ne savent que regarder dans les rétroviseurs de l’histoire.
Et c’est triste quand Maître Ambroise FARAMA et ses compères citent la célèbre phrase de Joseph KI ZERBO sans vraiment la comprendre. Joseph KI ZERBO n’a jamais appelé à une lutte pour la soumission et la servitude. Joseph KI ZERBO a appelé les peuples africains à construire et à imposer leur modèle de gouvernance et de développement, et c’est dans ce sens qu’il dit:” Nan laara, An sara.” Cela se traduit littéralement par si nous nous couchons, nous sommes morts. Mais le sens de la pensée veut dire que si nous refusons de construire notre modèle de gouvernance et de développement, si nous refusons de nous affirmer et de nous émanciper de la tutelle impérialiste et néocolonialiste, nous serions les objets des autres peuples qui nous effaceraient sociologiquement sur la terre. Joseph KI ZERBO était un intellectuel lucide qui avait proposé une solution endogène de développement aux peuples africains. Toute la philosophie de la pensée de Joseph KI ZERBO s’inscrit dans la rupture avec l’ordre néocolonial, et Maître Ambroise FARAMA et ses compères qui citent sa pensée pour défendre la démocratie, les élections et l’ordre néocolonial font certainement preuve de mauvaise foi. La démocratie et les élections ne sont pas sociologiquement africaines. On se bat pour se libérer et non pas pour servir, pour suivre, pour singer, pour imiter. »
Adama Amadé SIGUIRE
Écrivain Professionnel
Consultant en leadership et management des cellules sociales
Enseignant de philosophie.